S’il est une certitude, c’est que l’avenir est particulièrement incertain. S’il est une conviction, c’est que nous y ferons néanmoins face avec courage et de manière collective.
Comme toutes les collectivités, notre canton n’échappe pas aux interrogations et aux confusions du monde contemporain. Alors que l’insécurité géopolitique devient réalité au sein même du continent européen, les effets délétères du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité commencent à se faire sentir sérieusement sous nos latitudes, la disruption sur le marché de l’emploi crée des statuts précaires et des revenus aléatoires, de nombreuses familles souffrent d’un logement trop petit ou trop éloigné et beaucoup trop de citoyens voient leur qualité de vie péjorée par un environnement trop bruyant, trop pollué, trop contraint.
Les solidarités intergénérationnelles sont mises à mal dans notre société vieillissante, alors que, comme l’a exacerbé la crise du coronavirus, les solidarités interpersonnelles s’épuisent rapidement et peuvent laisser un nombre important de personnes sur le bord de la route si l’Etat n’intervient pas de manière rigoureuse.
Et pour couronner le tout, la transition numérique, qui était censée nous propulser dans un 21e siècle libre et immatériel, est en train de contribuer à déshumaniser davantage les rapports entre citoyens.
Mettre la politique au service du projet collectif
Le futur semble sombre et angoissant. Ce n’est pas la jeunesse qui me contredira, elle qui pressent peut-être plus que ses aînés la perspective ardue des défis qui l’attendent… Et pourtant ! Et pourtant, c’est l’espoir qui fait vivre ! L’espoir, n’est-ce pas la première chose que l’on doit à nos enfants ? La perspective de mener une vie digne, pleine et entière, faite de choix libres et responsables, de curiosité, de découvertes et d’envies de partage est certainement ce que chacun souhaite à sa descendance.
Et, par extension, à tous les jeunes. Une perspective pour nos enfants implique d’imaginer un futur collectif enviable. C’est peut-être là que réside la force d’un renouveau de la vie politique, d’une capacité à redonner des lettres de noblesse à la vie publique, trop souvent prise par le petit bout de la lorgnette de la gestion des affaires courantes.
La politique est l’art de décider ensemble de notre cadre de vie commun. Elle permet de «faire société», à savoir de donner la possibilité à chacune et chacun d’apporter sa pierre à l’édifice pour soi, mais aussi pour les autres.
C’est ainsi que le premier rôle du politique est de veiller à une société inclusive, qui rejette toute forme de discriminations en droit et dans les faits. Car l’essentiel des problèmes contemporains ne trouvera une solution que dans une approche collective.
De la même manière, l’essentiel des enjeux locaux trouvent une résonance au niveau global. Penser global, agir local : le fondement de l’écologie. S’ils sont largement admis sur le principe, reste à les mettre en œuvre de manière cohérente. Ainsi, les défis à venir pour Genève sont en réalité ceux de l’humanité qu’il nous appartient de modestement relever à notre échelle. Vouloir un futur désirable pour les générations futures ne peut cependant à lui seul tenir lieu de politique: c’est pourquoi nous avons besoin de nouveaux outils collectifs pour nous assurer un avenir sûr et serein à long terme.
Vivre à Genève
Mieux vivre sur notre petit territoire
Notre canton est victime de son succès. Alors que bon nombre de régions d’Europe se dépeuplent, la nôtre agit comme un pôle d’attraction économique, culturel, scientifique et international. Cela a historiquement toujours été le cas et nous sommes souvent fiers de nos origines multiples et de ce que «Genève» veut dire au monde. Cependant, revers de la médaille, nos infrastructures (logements, mobilité, espaces de détente, crèches, etc.) sont aujourd’hui insuffisantes face à une telle évolution démographique.
L’erreur consiste soit à vouloir figer Genève dans le temps, soit à perpétuer l’étalement du territoire issu des trente glorieuses. Dans les deux cas, on suit une logique absurde. La durabilité est passée par là et nous rappelle une évidence: si nous ne pouvons pas nous étaler à l’infini sur notre campagne et notre nature, il en va de même sur celle de nos voisins vaudois et français. Il ne nous reste qu’une seule solution : revoir le territoire d’ores et déjà bâti, d’une part, et protéger la nature, d’autre part.
Aménager la ville durable
Mieux vivre ensemble implique donc de revoir l’utilisation de l’espace commun. Tout d’abord, pour offrir à nos enfants un logement à la fois abordable et confortable. Bien situés, les nouveaux quartiers valorisent la diversité et promeuvent la cohésion sociale. Ils offrent des espaces verts généreux et tous les équipements publics nécessaires à la vie quotidienne sans usage de la voiture (ville des courtes distances).
La nature se développe également en ville. L’espace public existant est réaménagé de manière à mieux protéger la santé de la population dans un climat plus chaud. En dehors des zones urbaines,, car c’est là que se niche l’essentiel de la biodiversité et de la production alimentaire. Ensuite, des investissements massifs sont nécessaires pour améliorer les transports publics et les pistes cyclables.
Chaque nouvel usager de la mobilité douce entraine une voiture en moins dans les bouchons. Les jeunes montrent bien la voie. La voiture sera toujours disponible pour celles et ceux qui en ont besoin, mais de manière réduite. Enfin, la réduction de notre consommation d’énergie et d’émission de nos déchets constitue la base d’une nouvelle économie, l’économie circulaire qui valorise les circuits courts, la rénovation du bâti et les entreprises locales. L’agriculture de proximité est mieux valorisée. Prendre le chemin de la durabilité, c’est ouvrir des nouvelles perspectives d’emploi pour nos enfants.
Investir pour permettre l’éclosion de la société de demain
Revoir notre aménagement du territoire, notre appareil de production et nos infrastructures pour les rendre compatibles avec la neutralité carbone implique pour notre génération des investissements massifs, tant au niveau public que privé.
C’est un effort financier, certes, mais qui à long terme sera rentable au niveau local. En effet, une économie peu intensive en énergies fossiles nous permettra de moins dépendre des tarifs internationaux dont les événements récents sur la scène internationale ont encore une fois encore démontré la volatilité.
Chaque franc investi pour diminuer l’importation de gaz et de pétrole est, à la fois, une source d’économie future et un engagement pour l’emploi local. En ce sens, un endettement proportionné à cette fin est parfaitement sain, car il remettra aux générations futures des actifs beaucoup plus rentables. A contrario, ne pas investir, c’est les condamner à une dépendance accrue d’une matière première inexistante en Suisse. Le coût de l’inaction serait in fine bien plus élevé que celui de l’investissement.
Accompagner les trajectoires de vie
Plusieurs formations, plusieurs métiers
Le marché de l’emploi s’est profondément modifié en l’espace d’une génération. Alors qu’il était courant pour les baby-boomers de bénéficier d’un emploi sécure avec une progression de carrière assurée, les nouvelles générations doivent faire face à des évolutions de vie professionnelles beaucoup plus diversifiées. L’avènement du numérique et de la robotique complexifie davantage les perspectives d’emploi, ouvrant certes de nouvelles opportunités mais en fermant d’autres aussi.
Savoir apprendre devient alors plus important que le savoir pour lui-même. Ceci implique de fortement développer les formations en cours d’emploi et d’ouvrir des possibilités de réorientations professionnelles complètes pour les adultes. Les personnes occupant des métiers à faible valeur ajoutée, qui sont notamment concurrencés par des machines ou des algorithmes, doivent notamment bénéficier d’une possibilité de changer de secteur à travers ces possibilités de formation. Par ailleurs, les statuts fragiles liés à la nouvelle économie (travail sur appel, etc.) ou les métiers pénibles doivent faire l’objet d’une protection forte de la part de l’Etat, en lien avec le monde syndical. La transition écologique ne se fera pas sur le dos des travailleurs les plus précaires ; au contraire, elle est une occasion de renforcer les conditions d’emploi local.
Permettre l’articulation entre vie professionnelle et personnelle
La conciliation entre le monde de l’emploi et celui de la vie personnelle a fortement évolué. De plus en plus d’employeurs comprennent l’intérêt d’un management souple, inclusif et respectueux des situations personnelles, notamment des jeunes parents. Toutes les démarches en vue de temps partiels, d’horaires adaptés et de valorisation des capacités personnelles permettent des gains d’innovation et de productivité. Et c’est un plus
pour l’égalité femmes-hommes.
Demain, on travaillera moins, mais on travaillera mieux. A ce titre, notamment dans les métiers du care, le temps du contact humain doit être revalorisé au-delà du geste technique. Les prestations deviennent déshumanisées lorsque les administrés deviennent de simples numéros à traiter dans le temps le plus court possible. L’Etat doit montrer l’exemple et prévoir des expériences pilotes en la matière.
Ajuster l’écoles aux enjeux sociétaux nouveaux
Les neurosciences ont confirmé ce que les pédagogues savent depuis longtemps : les enfants ont des intérêts et des modes d’apprentissages très différents. Dès lors, la scolarité uniformisée avec un enseignant qui récite son cours face aux élèves de manière unilatérale appartient au passé. Les écoles publiques doivent aujourd’hui avoir les moyens de mettre en œuvre des méthodologies pédagogiques variées et ouvertes.
Il est temps de faire confiance aux équipes du terrain et de donner plus d’indépendance créatrice aux établissements scolaires. Par ailleurs, il est faux de réduire l’instruction publique à la simple préparation des métiers futurs. Le rôle premier de l’école reste de former des citoyennes et des citoyens, à savoir de permettre à chaque enfant de bénéficier des clés de compréhension de notre société afin qu’il puisse faire des choix libres
et responsables, et de lui permettre de trouver sa voie.
L’obligation de formation jusqu’à dix-huit ans est l’occasion de trouver des nouvelles manières d’accompagner vers d’autres horizons la part peu scolaire de la jeunesse au lieu de s’évertuer à vouloir la faire entrer dans un moule qui ne lui convient pas. Enfin, l’excellence de notre formation universitaire exige des efforts financiers soutenus
pour être maintenue à haut niveau international
Relever le défi du vieillissement de la population
Concernant les générations, on n’a jamais aussi bien vieilli en bonne santé. Mais l’enjeu du maintien de l’accès aux soins deviendra de plus en plus aigu avec l’augmentation du nombre de personnes âgées et demandera un effort collectif inédit. Dans le même temps, le marché de l’emploi s’est particulièrement durci pour les plus de 55 ans.
De cette contradiction naît la nécessité d’ouvrir de nouveaux modes de contribution à la société qui ne se limitent pas au travail. Il s’agit de valoriser l’engagement associatif, l’aide aux tiers non rémunérée et les contributions au bien commun. En d’autres termes, notre société doit mieux valoriser le travail consacré aux autres, mais qui n’est pas toujours couvert par un contrat de travail formel. Le troisième âge, notamment, doit regagner en considération plutôt qu’en infantilisation. Le rôle de transmission de savoir de vie, d’occupation de l’espace public de quartier, de garde des enfants ou encore de savoir pratique peut être mieux valorisé.
Faire société
Repenser la politique démographique de l’intergénérationnel à l’interculturel
La conjonction de l’accroissement de l’espérance de vie et de la baisse du taux de natalité implique un trend démographique qui tend au vieillissement de la population sur le continent européen.
Pour y faire face, nos sociétés se sont orientées vers une ouverture à l’immigration qui apporte un vent de jeunesse indispensable. C’est donc un double pacte auquel nous devons souscrire : un pacte intergénérationnel et un pacte interculturel. Dans les deux cas, il s’agit de « faire société » là où les trends pourraient laisser apparaître des fissures conflictuelles.
Penser un nouveau patriotisme d’ouverture
Nos sociétés ouvertes et globalisées sont devenues par essence cosmopolites. Si l’histoire nationale, la culture ancestrale et le parcours personnel migratoire ne sont plus le fondement du lien social, car ils sont trop divers, il nous faut recréer de nouveaux objets sociétaux de fierté collective dans lesquels toutes et tous peuvent se retrouver, quelle que soit leur origine. On pense ici à la défense des valeurs humanistes, la disposition à vivre dans une société ouverte et tolérante, la valorisation de la démocratie semi-directe et l’engagement citoyen en faveur de la collectivité.
En ce sens, nous devons réaffirmer et continuer à cultiver ce qui caractérise l’«Esprit de Genève». Une société multiculturelle n’est pas la fin de la fierté patriotique, mais au contraire la possibilité de prolonger les fondamentaux de l’histoire commune avec d’autres modalités. La culture est à ce titre un vecteur incontournable qu’il faut soutenir. En Suisse, la démocratie et ses valeurs constitutionnelles se prêtent particulièrement bien à un patriotisme ouvert et tolérant. N’opposons pas tradition et ouverture ; souvenons-nous, à l’heure où les réfugiés frappent à notre porte, que notre tradition c’est l’ouverture.
Développer la citoyenneté comme fondement de la société
La démocratie implique la gouvernance par le dialogue. Là réside, à mes yeux, le principal succès de la Suisse. A savoir la capacité des membres d’une collectivité de se sentir coresponsables des grandes orientations de l’Etat, d’être partie prenante de celles-ci et de rechercher à travers l’échange le consensus ou, du moins, le compromis.
Le lien de confiance entre la population et leurs élus est alors fondamental, car c’est à ces derniers qu’il revient la charge de mener concrètement cette dialectique constructive. Le consensus fonde la cohésion sociale, car il est plus valeureux que la simple volonté majoritaire imposée à une minorité. En ce sens, la recherche du dialogue est l’inverse de l’esprit de confrontation. Cette culture démocratique doit être chérie, valorisée et stimulée ; elle ne va pas toujours de soi.
Promouvoir la participation dans les prises de décision
Du côté des élus, il nous faut sortir de la culture du pouvoir où le mystère est érigé en vertu, la distance en élégance et où le verbe est utilisé pour déclarer plutôt que convaincre. Les politiciens doivent renoncer à infantiliser la population et celle-ci doit se méfier de ses propres revendications clientélistes.
Un renouveau du contrat citoyen passe par la capacité de chacune et chacun de se projeter comme responsable de la collectivité. « Qui est citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et d’être gouverné », disait déjà Aristote. Une culture du pouvoir plus horizontale oblige donc tant l’élu que le citoyen à revoir ses attentes vis-à-vis de l’autre. L’Etat doit dès lors continuer à valoriser les réseaux associatifs et citoyens.
Cette idée renvoie aux sources de notre démocratie helvétique qui constitue notre pays comme une « nation de volontés ». C’est donc la volonté de lier nos destins et nos identités qui fonde notre pays, et non pas une culture commune, la loi du plus fort ou le cynisme des grands empires. Cette volonté du vivre ensemble réside dans le cœur de la grande majorité de la population. L’Etat doit se montrer alors ouvert et transparent dans ses processus de décision. Il est au service de la volonté générale et non pas d’un groupe particulier ou de lui-même.
Quant à la citoyenneté, la dimension participative de la démocratie permet au citoyen d’éviter de se cantonner dans la défense de pré-carrés mais au contraire d’accompagner les institutions avec une vision étendue du bien public. C’est la conjonction entre une culture institutionnelle ouverte et une action citoyenne basée sur le bien commun qui nous permettra de matérialiser la volonté générale en action politique concrète